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La saucisse

Texte lu lors de la soirée lecture « Le Monomotapa » organisée par Alain Regnier - R.A Editions, au Centre de la Gravure le vendredi 19 mars 2010 à 19h30

Bonjour, je m’appelle Sébastien et voici Hélène, la saucisse…Oh oui je vois, vous vous dites « encore un joyeux allumé qui nous présente une saucisse » Moi aussi figurez-vous j’ai eu du mal à l’accepter mais pourtant voilà : je parle à une saucisse !

Comment un tel fait a pu se produire ? me direz-vous en vous moquant quelque peu et bien je vais vous le raconter car je ne peux plus longtemps garder cet étrangeté pour moi seul.

Tout a commencé au marché de Noël d’Havré.. C’est près de Mons. Il y avait là un étal à saucisse provenant de Haute-Savoie (un joli coin en France).
Là, soudain, marchant à côté de l’étal, j’entends quelqu’un qui me parle d’une petite voix. Je m’adresse alors au marchand :
-« Pardon ? » dis-je.
-« Mais rien monsieur, venez goûter une de mes saucisse ! » me répondit-il d’une voix grave. C’est alors que j’entend à nouveau la petite voix..petit à petit j’arrive à identifié la source sonore et celle-ci se trouve sur l’étal…..une saucisse ! Celle-ci me dit :
-« Bonjour, je m’appelle Hélène. Tu m’entends ? »
Sans voix, je regarde l’étal et me rend compte que le marchand me regarde perplexe….Je lui dit vous êtes ventriloque ? Je comprends à son air qu’il pense que je l’injurie sur son poids. Je relance :
-« Vous l’entendez aussi ?
-« Mais qui ça me dit-il ? «
-« Mais la saucisse, là, Hélène. »
-« Une saucisse qui s’appelle Hélène, allons donc, celle que vous pointez du doigt est une saucisse au roblochon…On m’avait dit que les Belges étaient des comiques mais vous, vous êtes un original..Vous voulez goûter de cette saucisse ! » lança t’il en menaçant déjà Hélène de son gros couteau…
-« Non, Non ! » lancé-je un peu fort, « je la prends, je la prends. »
Mon achat payé, je couru jusqu’à la voiture…..Là, Hélène et moi sommes restés sans voix un moment, si bien que je pensai avoir rêvé ou être la victime d’une farce du marchand.
J’avais l’air ridicule, j’avais installé une saucisse sur le siège passager et hésitais à lui mettre la ceinture…
Finalement c’est elle qui fit le premier pas
-« Merci », me dit-elle de sa petite voix remplie d’émotion.
-« C’est la première fois que quelqu’un m’entend. »
-« C’est la première fois que j’entend une saucisse qui parle » répondis-je.
Un dialogue s’établis alors entre elle et moi :
Elle : « Comment t’appelles-tu ? »
Moi : « Sébastien »
E : « Très bien Sébastien, heureux de faire ta connaissance »
M : « Moi de même, mais comment…. »
E : « je ne sais pas. Depuis le premier jour de ma fabrication je parle, j’ai voulu parler aux autres saucisses mais aucune ne me répondait…je pensais que c’était pcq j’étais différente mais je n’arrivais pas à savoir pourquoi…..alors je parlais sans arrêt espérant que quelqu’un m’entende enfin et c’est finalement toi, Sébastien, qui m’a entendue en premier »
M : « Et bien.. » lançai-je enfin, pensant que j’étais non seulement devant une saucisse dotée de paroles mais en plus d’un sang froid et d’un esprit de synthèse inhabituel chez une saucisse.
Je l’ai donc ramenée chez moi et étais dès le début très embarrassé où mettre cette saucisse ? Heureusement je n’avais pas d’animaux qui auraient pu la contraindre à vivre recluse dans une armoire. Je lui ai alors demandé :
-« Excuse moi mais je n’ai pas l’habitude d’avoir une saucisse pour hôte.. Où souhaites-tu t’installer ? Le frigo, le sellier ? Une armoire ? »
-« Si cela ne te dérange pas, j’aimerai simplement m’allonger dans le fauteuil » répondit-elle
-« Oui, oui » dis-je et je l’y installais aussitôt.

Par la suite, ce fut son endroit idéal et elle appréciait particulièrement la télévision.. Principalement les séries et émissions de variété, les documentaires mais nullement les émissions culinaires.
Lorsque j’avais des amis qui venaient à la maison je devais la cacher dans mon placard comme une amante.
Mais comprenez-moi, comment aurais-je pu présenter à mes amis une saucisse ? Au roblochon de surcroit.. et comment aurais-je pu la laisser dans le fauteuil ? Imaginez un instant que, une fois le dos tourné, un ami un peu affamé vienne à me grignoter ma saucisse !
Lorsque l’on héberge une dame, elle ne s’attend pas à se faire manger un bras ou une fesse par les amis qu’on lui présente.. et bien une saucisse c’est pareil ! Et si ils mangeaient le bas ça irait encore quoique indécent mais si c’était sa bouche….je ne saurai pas si elle avait survécu ou pas ! C’est pourquoi je préférai la cacher dans mon placard….

Vivre au quotidien avec une saucisse n’est pas aisé. Nous ne vivons pas au même rythme. La Saucisse est une lève tard et une couche tard aussi ! Elle doit être au fuseau horaire de New York…Hélène n’émerge du divan que vers 11h, 12h voir des fois 14h ! Et elle a un caractère ronchon si jamais je la réveille trop tôt.
Mais même si il n’est pas toujours facile de vivre avec une saucisse, cela a des bons côtés. Son caractère festif, son humour quelque fois grivois en font une compagne idéale pour les soirées télé, voyages et discussions. Elle vous remonte le moral comme personne. Une amitié forte que je porte à une saucisse…comme quoi, les amitiés naissent du hasard et se nourrissent de petits riens.
Tout à l’heure un certain Alain m’a invité à lire un texte de ma rédaction, j’ai accepté bien que bien embêté car ne m’étant jamais adonné à cet exercice. J’ai donc passé un coup de fil à ma saucisse pour demander conseil. Un texte en prose ? Une blague ? Un drame ? Un cadavre exquis ? Hélène fut de bon conseil :
-« Va boire quelques bières et écrit tes idées sur un carton, qui sait ? tu finiras peut être par écrire un texte sur l’amitié que tu aurai eu avec un éléphant rose de Monomotapa… »
Accoudé au bar du Mansart j’eu la révélation : parler d’Hélène, ma saucisse ! Car, à qui ai-je téléphoné pour demander de l’aide ? Qui est toujours là quand j’ai besoin d’une épaule pour pleurer.. ma saucisse ! C’était déjà elle qui m’avait conseillé de me déguiser en velux pour le carnaval, ah ah quel succès j’ai eu. Me voilà donc à la rue des amours, pour parler d’amitié. Je suis donc venu accompagner d’une saucisse pour illustrer mon propos. Mais j’avoue que je vous ai menti, celle-ci n’est pas Hélène, elle n’a pas pu se libérer. Celle-ci est muette, certes, mais c’est une saucisse intéressante car elle est à partager avec les rencontres hasardeuses de ce soir.